Après la seconde guerre mondiale, les radios sont sous contrôle des États dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest. Les gouvernements invoquent la volonté de protéger l’information des intérêts privés. En pleine guerre froide, ils tiennent surtout à empêcher la diffusion d’un message politique dissident. D’autres y voient l’absence de liberté d’expression et lancent le mouvement des radios « libres » ou « pirates ».
Les ondes ne s’arrêtant pas aux frontières, certaines radios s’installent en territoires voisins pour contrer les législations. Ainsi Radio Caroline fait découvrir le rock’n’roll aux oreilles anglaises depuis un bateau ancré dans les eaux internationales. Radio Luxembourg (RTL) s’équipe d’un puissant émetteur pour couvrir le territoire français. Et à Munich, la CIA finance Radio Free Europe pour diffuser une propagande anti-communiste vers le bloc soviétique.
À la suite des mouvements sociaux des années 1960-1970, les premières radios libres citoyennes apparaissent en Italie, d’abord, puis en France et en Belgique. Créées par des artistes et des militants du droit à l’expression libre, ces radios revendiquent l’indépendance des médias et donnent la parole à qui la demande pour un pluralisme des idées et un accès démocratique à l’outil radiophonique.
La première radio libre belge, Radio Eau Noire, apparaît en 1978 à Couvin, comme un outil majeur pour les opposants à la construction d’un barrage dans la localité. Cette radio ponctuelle d’intervention citoyenne politique bénéficie du soutien d’Alternatives Libertaires et des Couvinois-es qui empêchent la gendarmerie de saisir l’émetteur. Solidaire des mouvements sociaux et environnementaux, l’équipe se déplace ponctuellement pour couvrir d’autres luttes.
Son impact est extraordinaire et inspire d’autres collectifs à travers le pays. Parmi eux, les Amis de la Terre utilisent la radio à Vielsam contre de grands projets touristiques, puis créent à Bruxelles, Radio-Activité avec le Comité Anti-Nucléaire (CAN). Ils s’impliqueront également dans d’autres radios « vertes » dans le Brabant wallon, puis à Liège avec « Ça bouge dans les sous-bois ». Tous ces médias défendent des causes locales et se composent d’animateurs et techniciens bénévoles, proches des mouvements écologistes, libertaires ou syndicalistes.
Illégales, les radios libres, souvent d’expression contestataire, vivent sous la menace des perquisitions et des poursuites judiciaires. L’oppression ressentie crée une solidarité entre radios libres qui se fédèrent via l’Association pour la Libération des Ondes – Belgique (ALO-B), puis l’Union Européenne des Radios. Les auditeurs se mobilisent par centaines contre les saisies de matériel et pour la libération des personnes inculpées. Et les animateurs sans radio s’expriment sur d’autres médias libres, aux côtés de journalistes reconnus et de travailleurs du service public (RTBF), venus apporter leur soutien.
Mais dès 1980, une autre menace se précise : des radios à visée lucrative, Radio Contact en tête, demandent le droit d’émettre des annonces publicitaires et d’en tirer des revenus. Elles le font d’abord illégalement avant que ce ne leur soit accordé en 1985, puis étendu au service public dès 1991. En choisissant cette voie, ces radios se formatent pour plaire au plus grand nombre. L’information y est légère, la musique facile et conformiste et l’accès citoyen à l’antenne se fait plus difficile. Les autorités politiques y voient une opportunité d’auto-financement du secteur et commencent à délaisser le service public qui finit par adopter un format similaire sur certaines de ses chaînes (Classic 21, Pure FM, etc).
Le clivage se crée, dès lors, entre le non-professionnalisme assumé des petites radios et une machine commerciale bien organisée. Les fréquences disponibles étant limitées, ceux qui en ont les moyens se les accaparent avec l’installation d’émetteurs plus puissants. Il faudra attendre 2008 pour obtenir un plan de fréquences et un partage plus équitable de la bande FM. L’Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique (AGJPB) sonne le glas de nombreuses radios en condamnant l’amateurisme journalistique et en demandant à ce que soit correctement rémunéré le travail d’informateur. Dès 1988, la loi leur donne raison et impose la présence d’au moins deux journalistes professionnels dans toute rédaction. De nombreuses radios fonctionnant sans aucun budget n’y survivent pas : de près de 200 radios libres au début des années 1980, il ne reste qu’une poignée de radios associatives dont la plupart dépendent des universités (tel Radio Campus, RUN ou 48FM).
On peut se demander si la radio n’est pas, au XXIe siècle, un média dépassé. Internet et la liberté de choisir sa programmation à tout moment et partout dans le monde auraient-ils eu raison d’un modèle où le fond comme la forme sont imposés ? Mais tout comme le cinéma n’a pas tué le théâtre, la radio, comme l’écrit, se positionne sur un créneau différent, touche d’autres publics et tire l’avantage d’une facilité technique et d’un faible coût. Les médias se complètent et d’une certaine façon, le web réactive l’imaginaire d’une expression libre et citoyenne, faisant écho à l’ère des radios libres.
Car dès l’origine, le web se veut un formidable espace universel d’échanges de savoirs et d’idées. La liberté théorique de parole y est illimitée et l’absence d’un contrôle centralisé rend la censure inefficace. Le web est la plus grande base de connaissances jamais créée, il démocratise l’accès aux médias, offre l’accès à une infinité d’opinions et une diffusion sans limites. Indéniablement, ce média offre une visibilité et un pouvoir de mobilisation jamais égalé et joue désormais un rôle dans les soulèvements populaires, à l’image du « Printemps arabe » de 2011.
Deux grandes menaces planent toutefois aujourd’hui sur ce territoire d’expression libre. Sous prétexte de combattre le « terrorisme », les gouvernements archivent une grande partie de nos vies numériques. Plus grave encore, une poignée de multinationales tend à prendre le monopole des services. Apparaître via un moteur de recherche ou sur les « murs » de vos abonnés dépend du seul bon vouloir d’entreprises dont le modèle économique repose sur la publicité. Communiquer sur une lutte aujourd’hui – et si on considère qu’internet est devenu inévitable à cette fin – s’accompagne donc souvent d’une manipulation des esprits pour leur vendre des lessives ou d’autres outils qui les maintiendront dans un état de dépendance numérique.
Mais à la différence des fréquences hertziennes dans les années 1980, l’espace numérique semble sans fin. Nous avons la possibilité de créer et maîtriser le fond et la forme de nos informations sans dépendre de conditions imposées, du relatif succès et de l’incertaine pérennité des sites commerciaux. Aux Amis de la Terre, nous tentons l’exercice de la résilience numérique avec un média qui se veut collaboratif en partageant l’expression de ses membres. Et si nous ne résistons pas à l’offre en communication du plus grand réseau social du monde, nous restons conscients de ses limites et n’y livrons aucune information qui ne soit pas déjà sur notre propre site web.
Le 12 mars 2016, à l’occasion des 40 ans des Amis de la Terre – Belgique, l’asbl Mémoire de la radio interviewe deux anciens militants, Christian Leblanc et René Bodson, à l’origine de « Radio verte » émise depuis Vielsam.
- Présentation des amis de la terre et les débuts de radio Verteat2.mp3
- Le fonctionnement et les programmes de la radioat3.mp3
- Les risques de saisieat4saisie.mp3
- Conclusionconclusion.mp3