Un récit à quatre mains de nos stagiaires Camille et Justine
[Justine] « Par nos animations et nos actions, nous participons à la construction d’un monde post-capitaliste, féministe, antiraciste et écologiste, libéré de toutes formes de domination et d’oppression » : tel est le descriptif de la page Facebook de La Casserole, lieu autogéré à Namur dans lequel nous nous sommes rendues ce dimanche 1er septembre à l’occasion d’une journée pour « Faire vivre des mondes communs à Namur ».
Entre des barres d’immeubles, des vestiges du passé industriel de la ville, et une végétation fournie se tient cet immense bâtiment, où une banderole nous indique que nous sommes arrivées à destination.
[Camille] Arrivée à 11h35 pour me joindre à un premier cercle de discussion, j’entre dans ce lieu magnétique. J’atterris de façon timide au milieu de l’Assemblée Générale qui se termine. Pourtant, malgré un apparent retard, je suis immédiatement accueillie. On m’explique: « On est en train de finir l’AG, le planning de la journée a été discuté et validé par l’ensemble des participant.es présents. » Cette participation et la décision collective où chacun.e à sa place, apparaît dès mon arrivée comme l’un des piliers de la Casserole, inscrit en ses murs et en ses membres. Pour clôturer cette AG, nous sommes invité.es à prendre quelques secondes de silence, afin de se recentrer et de partir plein d’énergie pour cette journée qui, je ne le sais pas encore, s’annonce riche en rencontres et émotions.
[Justine] À mon arrivée, je suis pour ma part marquée par cet entremêlement d’affiches et de slogans divers, couplés avec d’immenses canapés, ou encore un bar. Le ton est donné : à la fois lieu de réunion, de militantisme et de rencontre, la Casserole semble bien être le fruit de contributions multiples, qu’elles soit idéologiques ou matérielles.
[Camille] Pour le premier atelier, c’est la « Discussion sur les communs : de quoi on parle ? » coanimé par Valéry Witsel qui a retenu notre attention. Chacun.e amène sa chaise vers la Véranda, espace qui nous accueille en ses murs emprunts de nature, illuminé par la douce lumière de cette journée.
Un grand cercle se forme, se reforme et se transforme afin que chacun.e trouve sa place. La discussion s’ouvre pour ce moment de réflexion théorique et philosophique sur les communs. On s’interroge en groupes de 3 ou 4: qu’est-ce qu’évoque le capitalisme, qu’est-ce qu’évoque les communs? Les idées fusent à travers les groupes. Après l’échange, chaque groupe prend la parole et se complète avec un intérêt tout particulier à l’organisation des idées. « Je peux voir votre papier ?« :
« Les communs comme les communs de base (ressources naturelles), les communs institutionnels (sécurité sociale), les communs concrets et non-institutionnels qui visent le bien-être collectif. Les communs comme création de lien par différents moyens, comme la prise de contrôle de son temps que l’on ne perd plus pour un patron. Les communs comme des réseaux de solidarité et d’entraide. Une dimension émotionnelle, de partage, d’amour et de liens ressort particulièrement dans les retours de chaque groupe. Finalement, les communs comme des organisations collectives de moyens d’existence et de subsistance avec une gestion démocratique d’échanges et de décision, définition marxiste et évolutive de Valéry. »
En opposition, le capitalisme ressort comme néfaste, corrompu et corrompant, un système qui vise à l’accumulation de richesse et qui base son fonctionnement sur l’appropriation privée de nos moyens d’existence. Cette appropriation, j’en avais conscience, mais elle est plus présente que je ne le pensais: appropriation de la force de travail avec le travail salarial, appropriation de la nature avec l’exploitation des animaux et l’extraction des ressources naturelles. Mais aussi, appropriation des femmes et de leur travail reproductif, des personnes racisées avec l’esclavage, des savoirs et des rencontres humaines, conditionnés par des activités et logiques marchandes (applications, réseaux sociaux, brevets, activités payantes…).
Ainsi la Casserole s’illustre au milieu d’un ancien quartier d’industries d’émail et de casseroles, elle se dresse et le réinvente. Rachetés par un promoteur, ces lieux ouvriers ont été délocalisés pour « empêcher l’étalement urbain« . L’empêcher en déplaçant commerces et lieux de travail, en « favorisant les propriétaires qui deviendront des piliers de quartier« , voilà les promesses fumeuses des promoteurs. Gentrification, hausse des déplacements pendulaires, ces réalités sont bien cachées. Le quartier ne peut pas vivre sans communs, mais les communs ne sont pas rentables… La Casserole, sûrement imparfaite mais en constante évolution vise à offrir cet idéal, ce modèle de société alternatif et précurseur sur une planète conduite par des humains qui l’épuisent tout t’en s’épuisent eux-même.
Après un temps légèrement prolongé mais apprécié, les discussions se perpétuent dans un son continu en direction du buffet. Et quel buffet ! Pour un prix libre, tous.tes ont accès à des produits maraîchers issus de la Ferme Noire de Heidi. Heidi est une paysanne engagée et passionnée qui délivre le bon pour tous.tes et pour les luttes politiques. « C’est bien d’être des Amis de le Terre », nous glisse -t-elle alors que Valéry nous présente, « mais il faut aussi être des gens de la Terre ». Les gens de la terre, ceux qui nous permettent de vivre et nous nourrissent, nous les oublions trop, et pourtant le sublime taboulé libanais et cakes aux courgettes ne seraient pas là sans elle. Cette rencontre nous touche et nous donne envie de connaître davantage Heidi et son engagement.
[Justine] Après un atelier de temps calme et de yoga, la vie active reprend dans le lieu. Chacun.e se dirige vers une des animations proposées, au gré de ses envies.
Nous décidons de notre côté de participer à une discussion sur les pratiques de soin dans les collectifs. En effet, le soin est politique, et partie intégrante des mouvements militants : il apparaît comme nécessaire de porter un point d’attention à la fois sur les différents rapports de dominations, l’accessibilité, la possibilité pour chacun.e de se sentir intégré.e. C’est un point central à la Casserole : iels ont mis en place différents outils pour y veiller, comme une « trankile team », qui s’assure du confort de chacun.e, ou encore des causeries, pour définir la position générale du collectif sur un système de valeurs donné.
Tout n’y est pas parfait, il en reste du chemin à faire, mais l’envie est là. Je le ressens dans la façon dont certain.es écoutent avec attention celles et ceux qui parlent, quand une personne se sent capable de se confier sur une situation vécue, ou une autre nous lit spontanément un texte écrit sur le vif, porté par la poésie du moment.
Il ressort de cette réflexion l’idée que l’action militante, la construction de nouveaux récits, ne peuvent se faire sans la bienveillance, le respect et l’écoute mutuelle. Cela semble faire écho avec mes propres réflexions et lectures écoféministes. Pour reprendre les propos de Joanna Macy, ce qui nous permet de ressentir de la peine pour notre monde, c’est notre capacité à ressentir de la compassion, dont l’étymologie signifie « souffrir avec ». Cela ne rime pas avec une posture d’apitoiement, mais de reconnaître « l’interconnexion avec la vie et tous les autres êtres« . Je crois ainsi que la reconnexion avec le vivant dans son ensemble, qu’il soit humain ou non, pour prendre à nouveau soin de ce monde, est essentielle dans la façon dont nous envisageons nos luttes.
Pour finir cette journée, sur un fond de musique irlandaise, se mettent en place des moments de discussions plus informels. Entre politique et légèreté, vécus militants et personnels, tout s’entremêle. Alors que la chaleur retombe, tout comme l’énergie des participant.es après cette belle journée, un spectacle de feu vient nous redonner encore un peu de beauté et de poésie.
Tout en prenant pleinement part à ce moment, une phrase résonne en moi : « If I can’t dance in your revolution, I’m not coming« . Souvent attribuée à Emma Goldman, elle prend ici tout son sens. En effet, la créativité, la joie et la convivialité sont essentiels dans les espaces de réflexion, militants et associatifs comme ici ou chez les Amis de la Terre.
En conclusion
[Camille & Justine] Les communs sont donc ces lieux de lien, où l’on invite plutôt qu’on impose, où l’on assume une forme d’interdépendance qui se veut bénéfique entre êtres vivants. En prenant conscience de cette interdépendance, tout en laissant une place à l’individu, les communs sont un avenir possible et soutenable qu’il faut défendre.
Si ils sont des lieux physiques à réinvestir, ils sont aussi des idées, des pratiques de respect, de soin et de joie, pour prendre soin du monde et de celles et ceux qui le composent.