Néonicotinoïdes ? Rideau !

Ce 18 octobre 2023, ma boîte mail accueille un court message de la PAN, intitulé : Victoire sur toute la ligne :-))) et en attachement, 4 Arrêts, 4 jugements, qui signent la fin heureuse d’une longue saga. Chacun n’aura pas la patience de traverser ces 75 pages juridiques, mais c’est une opportunité, pour moi, d’évoquer quelques moments de cette longue lutte et de jeter un œil dans le rétroviseur.

Voici plus de 20 ans que j’« apicole », que j’exerce l’apiculture, que je côtoie les abeilles, plus que je ne les « exploite », diraient les agents de l’AFSCA.

Mon père, déjà, était conférencier apicole. Comme bien d’autres apiculteurs de l’époque, dans les années 1960, il avait entrepris d’introduire dans ses colonies des reines exotiques dont les publicités vantaient les qualités. Ces essais l’ont tous déçu et il a tenté de revenir à la race locale … après avoir bien contribué à la pollution génétique de notre abeille noire.

C’est ainsi que j’ai repris le collier apicole familial, vers 2003, lorsque mon père a dû rendre les armes. Pour la deuxième fois, son rucher avait été décimé par des pulvérisations du fermier voisin auquel il n’a pas manqué de signaler le désastre causé. Mon père a déclaré : « Ce n’est pas moi qui ai abandonné l’apiculture mais l’apiculture qui m’a abandonné … ».

J’ai donc repris un peu de vieux matériel apicole que je connaissais pour l’avoir partagé lors de ses visites de colonies. J’ai surtout évité les races exotiques ou pire, synthétiques. J’ai tenté de développer un rucher d’abeilles noires locale. Comme membre des Amis de la Terre, je ne conçois pas qu’on puisse concilier d’une part l’idée de préserver la biodiversité locale où notre abeille noire figure comme hautement menacée et d’autre part, l’idée de lancer aux alentours des abeilles exotiques que personne ne peut empêcher de polluer le bagage génétique de nos avettes belges … Assez naturellement, je suis donc devenu membre de l’association belge de promotion de l’abeille noire, Mellifica.

Ainsi, si mes premières souches étaient métissées et de ce fait fort peu conviviales, au fil du temps, j’ai pu retrouver toute la douceur de nos abeilles noires. Aujourd’hui, je passe tranquillement la débroussailleuse entre les ruches sans que les avettes ne se troublent ou se sentent menacées.

Parallèlement, j’ai dû, à plusieurs reprises, refaire mon cheptel auprès de l’un ou l’autre confrère en raison de dépérissements plus ou moins catastrophiques. En 2017, notamment, suite à une pulvérisation à 1 km du rucher, j’ai connu un « Printemps silencieux » comme le dit Rachel Carson : tout mon cheptel apicole était mort. J’avais perdu ma dignité d’apiculteur. Lorsque deux confrères, Janine et Martin, m’ont chacune et chacun, fourni une colonie pour me permettre de refaire mon cheptel, je leur ai été infiniment reconnaissant.

Martin et moi, sommes devenus de vrais complices apicoles. Un peu plus tard, Martin est devenu le Directeur exécutif de PAN. Dès lors, lorsque PAN a entrepris d’arrêter la folie de l’usage des néonicotinoïdes en Europe, j’ai été très honoré qu’il m’invite avec l’association Nature et Progrès à nous lancer, à trois, dans un combat judiciaire contre un lobby puissant.

La campagne des apiculteurs français qui avaient pris pour thème « L’abeille, sentinelle de l’environnement » était une évidence à mes yeux : lorsque les abeilles meurent, les humains que nous sommes doivent craindre pour leur survie car cela suppose une pollution systémique qui peut frapper toute notre population en pleine figure, comme un pesticide néonicotinoïde frappe les butineuses qui meurent au champ d’honneur.

C’est ainsi qu’en 2019, sous la houlette de l’avocat Antoine Bailleux, je me retrouve à attaquer l’État belge qui couvre les activités peu recommandables des betteraviers belges et leurs divers complices sucriers dont Tirlemont. C’est David contre Goliath mais Antoine est résolu. Pourquoi des produits interdits en Europe pourraient-ils bénéficier d’une dérogation en Belgique ? À ce train-là, chaque pays déroge et la législation européenne est vidée de sa substance. Le 17 octobre 2023, le Conseil d’État nous donne raison et acquiesce à notre bon droit. Merci Antoine !

Idem en 2020 pour trois autres requêtes en annulations de dérogations. Et ce sera encore pour la pomme des betteraviers et de leurs complices, le même 17 octobre 2023.

En conclusion de tout ceci, je voudrais féliciter non seulement Maître Antoine Bailleux qui nous a représentés et défendus, mais aussi Martin Dermine de PAN Europe qui a orchestré tout ce combat et qui nous a conduit à la victoire.

Nos parents ont défendu la liberté de notre petite Belgique contre l’agression d’extrême droite mais aujourd’hui, dans un combat plus sournois, dans des tranchées juridiques, au sein même de notre société lissée, nous devons défendre notre liberté de respirer et d’être en bonne santé.

Dans le cadre de cette guerre, beaucoup d’associations se sont rangées sous la cocarde de PAN, mais je n’y trouve pas encore les Amis de la Terre Belgique. Ça ne saurait tarder car PAN, au sein du Parlement européen, offre un service de lobby tout-à-fait dans la ligne des Amis de la Terre, grands défenseurs devant l’Éternel de notre liberté de jouir d’un environnement sain, tellement essentiel à l’héritage que nous laisserons à nos enfants et petits-enfants.

Texte rédigé par Benoît Dupret, membre et apiculteur

Crédit photo : Eric Tourneret Photo de Sarazh Izmailov depuis Pexels