Du 29.03.2024 au 18.08.2024, le Fotomuseum (Fomu) d’Anvers a accueilli « Re/sisters, A Lens on Gender and Ecology », une exposition écoféministe d’artistes femmes et/ou queers mettant en avant la double exploitation de la nature et des minorités par le capitalisme patriarcal. Camille et Justine – stagiaires aux Amis de la Terre – s’y sont rendues et vous en font le récit dans ce premier épisode de la série « Les stagiaires embarquées ».
Dès notre arrivée dans le hall, l’ambiance est posée: de grandes pancartes de diverses manifestations couvrent une partie des murs. Ceux sont des femmes et personnes queers en lutte qui, à travers des œuvres, des photos d’archives et vidéos, poussent un cri uni contre ces logiques de domination : « How do we resist? Comment résistons-nous ? ». Cette exposition, dans la lignée de l’écoféminisme, offre une ouverture vers un changement de paradigme, pour un autre avenir hors des exploitations plurielles actuelles.
Nous nous dirigeons donc vers la salle d’expo, accompagnées par des interrogations qui vont nourrir toute notre visite et font écho aux combats des Amis de la Terre…
« Pouvons-nous mobiliser notre imagination pour créer de la résistance ? »
« Comment nos pratiques quotidiennes peuvent-elles aboutir à un changement régénérateur, la guérison et le renouveau ? »
« How can we effectively slow down and try to connect with our bodies, and with nature? » *
À peine la porte franchie, nos yeux se posent sur un immense draps où sont imprimés des motifs rouges. Caroline Caycedo considère la nature comme un corps et met en avant dans ses œuvres les blessures que l’humain lui inflige. Cette œuvre montre les cours d’eau comme des organismes vivants que l’artiste définie comme « les artères de la planète ».
Ce parallèle corps/nature fait partie des caractéristiques du mouvement écoféministe. Lors de l’expo, nous l’avons à nouveau rencontrer à travers notamment les œuvres performatives de Ana Mendieta, « earth body » où en se fondant dans le paysage elle interroge son rapport avec la nature, et la classification humain et non-humain.
Nature vs culture
Cette déconnexion entre l’homme et la nature est une interrogation présente à d’autres moments de l’exposition. La question de la destruction des espaces naturels, et de ses impacts, fruit du système capitaliste extractiviste, est fondé sur le paradigme « nature vs culture ». Cette opposition est centrale pour comprendre le mouvement écoféministe : notre système capitaliste et patriarcal s’est fondé sur cette dualité avec d’un côté la « culture », représenté par l’homme blanc capitaliste, en opposition à la « nature », où sont rassemblées la nature, les femmes et minorités ethniques/ de genre. Ainsi, l’écoféminisme vise à dépasser cette opposition, comme le montre l’œuvre de Uyra, dont les photos mêlent humain et non humain, explorant ainsi la fluidité entre ces deux éléments trop souvent opposés.
L’exposition vise donc à montrer comment cette déconnexion à la terre qui conduit à des destructions massives de l’environnement est directement liée et alimente les inégalités hommes/femmes/minorités et le racisme.
Pour continuer ce propos sur la déconnexion de l’homme à la nature, nous déambulons désormais entre de grands clichés d’îles artificielles, assez impressionnants, visant à sensibiliser le spectateur aux impacts environnementaux de ces constructions, ici à Singapour, en Malaisie et en Chine. Derrière, on peut découvrir le poème « The island Decide to disappear » de Khài Don, venant compléter le propos.
Un exemple est l’œuvre de Mabe Bethônico : des photographies de paysages désertiques, exploités, liés par un papier fin et fragile. Cette installation, représentant les séquelles des catastrophes minières au Brésil entre 2015 et 2019, montre la fragilité des paysages et leur destruction par l’homme. L’artiste souhaite aussi montrer que « pour ces populations, la terre est d’une importance vitale ; elle la considèrent comme un prolongement du corps et non comme un élément neutre, déconnecté ou interchangeable » .
L’exposition met également l’accent sur la protection des océans, lieu de vie, mais également de luttes avec par exemple les enjeux très actuels d’exploitation des fonds marins. L’artiste Ada M. Patterson met en avant l’océan pour faire référence à l’histoire coloniale de son état d’origine, la Barbade, mais également comme une représentation de la fluidité de genre, mettant ainsi en avant la représentation des personnes queer et noires.
En continuant notre chemin, nous nous plongeons cette fois-ci dans l’histoire des luttes qui ont forgé le mouvement écoféministe, illustrée par des photographies et archives inédites. Y était en effet présenté le mouvement Chipko, emblématique dans la lutte des femmes contre la déforestation en Inde dans les années 1990, et notamment connu pour ses images de femmes enlaçant des arbres.
D’autres évènements mettaient en lumières les liens historiques entre le mouvement écoféministe et la lutte antinucléaire et pour la paix sont présentés. Cela est par exemple le cas du Greenham Common Camp, un moment militant considéré comme « laboratoire d’expérimentation » de l’écoféminisme. En effet, pendant 19 ans, en Angleterre, des femmes se sont réunies et ont milité sur fond de lutte antinucléaire, et de défense du vivant. La lutte antinucléaire était aussi illustrée par l’ « earth ambulance » d’Hélène Aylon. Cette femme a documenté en photographies son parcours aux États-Unis à bord d’une ambulance, dans l’objectif d’alerter sur l’intoxication de terre par les actions humaines « je voulais entendre la terre qui crie à l’aide ».
Enfin, la lutte écoféministe est aussi empreinte des luttes anti-racisme.
« We have been poisonned. Help!« , « Nous avons été empoisonnés, Aidez-nous ». En 2016, les habitants de Flint au Michigan se retrouvent dans l’incapacité de consommer leur eau car elle est contaminée par des bactéries mortelles et du plomb. A travers les yeux de la population, LaToya Ruby Frazier, artiste et activiste, nous fait (re)découvrir comment des choix politiques ont mis en danger les populations locales, répondant aux logiques du racisme institutionnel et aux inégalités structurelles subies par les populations afro-américaines.
Nous sortons de cette exposition emplies de nouvelles connaissances, savoirs et ouvertures sur le monde qui nous entoure à travers les luttes qui le composent.
À la question « Comment résistons nous ? », il nous apparaît désormais que la lutte, qu’elle qu’elle soit, ne peut se passer de l’art, de l’inventivité et de la création. L’évocation de nouveaux imaginaires, plus respectueux de la nature, du vivant, et de la diversité de l’humain nous apparaissent aujourd’hui comme essentiels.
Si vous voulez nous rejoindre, et en apprendre davantage sur l’écoféminisme, n’hésitez pas à suivre nos actualités !
* » Comment peut-on ralentir efficacement et essayer de nous connecter à nos corps et à la nature. »