Cet article est paru dans la revue des Amis de la Terre « Justice Climatique (N°1): Quelle justice face a changement climatique?« .
Le consensus scientifique est formel à propos des changements climatiques en cours. Les causes de ceux-ci – liées aux émissions de gaz à effet de serre issues des activités économiques humaines – ainsi que leurs conséquences présentes et futures ne sont plus des hypothèses mais bien des faits établis. Mais les causes et conséquences des changements climatiques sont également à l’origine de profondes injustices. Dès lors, lutter contre les changements climatiques et les injustices qui les accompagnent apparaissent inséparables, sur tous les plans.
Combattre le système pour imposer une justice
Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC), principale instance en matière de documentation scientifique des changements climatiques, a lui aussi commencé à intégrer les dégâts humains des changements climatiques. Dans son rapport de 2014, il identifie les principaux risques (mortalité, maladies, blessures, dégâts matériels, insécurité alimentaire) ainsi que les principales zones (zones littorales basses, petites îles, zones urbaines denses) et activités (travail en extérieur, agriculture…) touchées. Le rapport conclut à des impacts disproportionnés sur les pays et populations les plus pauvres, en montrant que ceux-ci sont également les moins responsables des émissions de gaz à effet de serre en cause. Ce que montrent ces résultats, c’est bien que les victimes du développement économique induit par le système capitaliste, et celles des changements climatiques, sont les mêmes. Ces logiques d’exploitation tant des êtres humains que de la nature, le libre-échangisme à outrance mondialisé ou encore le retrait progressif de l’État social depuis le début de l’ère néo-libérale sont autant d’éléments dont les impacts sociaux et climatiques sont effrayants. Le corrélation inverse entre la responsabilité et la vulnérabilité (les plus responsables étant les moins vulnérables, et inversement) à toutes les échelles géographiques, constitue l’injustice centrale ayant provoqué l’émergence d’un mouvement international pour la justice climatique.
Naissance d’un mouvement citoyen international
Le mouvement pour la justice climatique est relativement récent, puisqu’il trouve ses premières expressions à la fin des anné
Qu’est-ce que la justice climatique ?
es 1990. Depuis 1992 et le sommet de Rio pour le climat, des négociations internationales pour le climat ont lieu chaque année lors d’un sommet organisé par les Nations Unis et sa convention cadre pour le changement climatique (CCNUCC). Les négociations internationales ont échoué à contraindre les États à lutter efficacement contre les changements climatiques, mais aussi à intégrer les préoccupations de justice dans les arènes de négociations. Les organisations de la société civile décident alors de créer leurs propres arènes politiques, structurées à l’internationale. Il s’agit d’abord d’ONGs du Nord (Greenpeace, WWF, les Amis de la Terre…) qui se constituent en un réseau, le Climate Action Network, qui pourra participer aux négociations internationales. Critiquée pour sa conception des questions climatiques centrée sur l’occident et sa tendance à faire l’impasse sur les questions de justice internationale, la scène internationale alternative se voit par la suite recomposée avec l’émergence d’acteurs des pays du Sud (Indigenous Environmental Network, Third World Network, Via Campesina, etc.). En 2002, un moment clé pour la construction du mouvement international pour la justice climatique intervient avec la tenue d’un contre-sommet à New Delhi. Les organisations présentes y définissent 27 principes pour une justice climatique, revendiquant leur filiation avec le mouvement pour la justice environnementale puisqu’ils sont très inspirés de ses 17 principes rédigés en 1991 à Washington D.C. Les 3 principes essentiels à retenir sont la reconnaissance d’une dette écologique (des pays industrialisés envers les pays en développement), le respect des droits territoriaux des peuples autochtones et la citoyenneté environnementale (transition écologique intégrant impérativement des bases démocratiques renouvelées). Une coalition internationale alternative au CAN se crée en 2007 sous le nom de Climate Justice Now !, intégrant des organisations déçues du premier et des organisations du Sud. Ce nouveau réseau résulte de la critique jugée toujours valide du manque de prise en compte des principes de la justice climatique par le CAN. Le CJN ! se donne pour ambition de porter sur la scène des négociations internationales les préoccupations des citoyens, notamment du Sud, pour une justice climatique. Ce réseau est aujourd’hui reconnu par le secrétariat de la CCNUCC comme représentant de la société civile au même titre que le CAN et participe donc aux négociations climatiques. Son orientation radicale tranche nettement avec celle, plus consensuelle, du CAN. Le CJN ! définit sa position dans un article publié en 2010, affirmant que « la justice climatique signifie lier tous les combats qui rejettent le marché et le travail d’inspiration néo-libéral pour un monde qui place l’autonomie décisionnelle du pouvoir entre les mains des communautés. ».Il n’est donc pas question, pour ce mouvement, de réformer un système dont les racines sont productrices d’inégalités et de désordres climatiques, mais bien de lui rechercher des alternatives. Le mouvement pour la justice climatique se veut en ce sens porte-voix, au niveau international, de luttes et expériences locales.
Des luttes ancrées à l’échelle locale
Accompagnée d’un fort ancrage territorial, la structure particulière du mouvement pour la justice climatique conduit ses analystes à le qualifier de « mouvement de mouvements ». Nous pouvons y observer 3 dynamiques citoyennes. La première est celle de luttes locales contre des pratiques et infrastructures dévastatrices, avec dans certains cas des expérimentations de modes de vie et de processus politiques alternatifs (ZAD, mobilisations des populations autochtones…). La seconde est celle d’expériences collectives locales également, matérialisées en collectifs ou associations et qui pratiquent l’habitat participatif, du réemploi de matériaux, etc. Celles-ci ont une dimension de coopération sociale forte, qui cherche à redonner du pouvoir d’agir aux citoyens en passant par le local. La dernière dynamique observable est celle d’actions à une échelle plus large, souvent nationale, d’ONG ou collectifs. Les actions visent alors à sensibiliser l’opinion et/ou à agir directement sur le plan politique, comme le font les mobilisations de masse ou les recours en justice, par exemple. Loin d’être isolées les unes des autres, ces formes d’organisation, d’action, d’opposition, agissent à des échelles différentes et ont des cibles spécifiques. Mais elles ont toujours deux dénominateurs communs, qui sont la déception vis-à-vis de systèmes politiques trop peu inclusifs et dont les actions sont jugées inadaptées ou insuffisantes, et l’inscription dans une participation politique, soit en intervenant auprès du pouvoir institutionnel, soit en créant de nouvelles arènes politiques.
Quelles contributions en faveur d’une justice climatique ?
Les apports du mouvement pour la justice climatique sont nombreux et variés. Nous pouvons les résumer de la manière suivante :
– Mise en évidence des impacts négatifs disproportionnés sur les populations déjà opprimées, vulnérables et marginalisées sur le plan politique. L’organisation des mouvements en interne tend à y rendre effectifs les principes de la justice climatique.
– Mise en évidence des racines conjointes des crises écologique et sociale, et donc de l’impossibilité de régler l’une au détriment de l’autre, ou plus largement de les régler par le système qui les a créées.
– Proposition d’un renouvellement des structures de pouvoir plaçant la justice sociale et la lutte contre le changements climatiques au centre de ses préoccupations, et qui est profondément inspiré de la base, des mouvements sociaux et expérimentations locales.
– Mise en évidence de l’articulation des dominations (intersectionnalité), et importance de les combattre au sein même des mouvements climat.
– Constante mise en relation entre le local et le global, ou plus précisément entre l’opposition locale à certaines pratiques, et la promotion d’alternatives à globaliser qui tiennent compte des principes de la justice climatique.
Le mouvement pour la justice climatique est multi-forme et émergent. En étant actif à l’international et au niveau local, il a le potentiel de faire remonter les expériences citoyennes qui portent les principes sur la base desquels construire un monde juste et durable. En cela, il dépasse largement la posture contestataire pour l’enrichir de propositions sérieuses d’alternatives, ancrées dans le vécu de ses partisan·tes.
Sources :
L. Laigle, « Justice climatique et mobilisations environnementales », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, vol.19, n°1, 2019.
A. Michelot, « Chapitre 1. La justice climatique : faire face à la responsabilité du changement climatique ? », Journal international de bioéthique des sciences, vol.30, n°2, 2019, p.17-39.
B. Tokar, « On the evolution and continuing development of the climate justice movement, Routledge handbook of climate justice, 2019, p.13-25
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