Travailler moins pour vivre mieux

Cet article est paru dans la revue annuelle des Amis de la Terre « Ralentir, vite !« , écrit par Marcel Guillaume.

Seriez-vous preneurs du fait de travailler moins pour un salaire équivalent ? Voilà une question dont la réponse ne laisse guère planer de doute pour la plupart d’entre nous. Pourtant, dans le contexte socio-politique actuel, pour les plus défavorisés, travailler plus pour gagner plus est souvent devenu un incontournable moyen de survie.

Mais pourquoi donc consacrer tant de temps à l’activité professionnelle ? Le milieu professionnel est (souvent) un incontestable moyen d’intégration sociale, peut-être un lieu de valorisation et d’épanouissement personnel (oui, cela existe encore) et constitue évidemment un moyen incontournable d’assurer son indépendance financière. Mais il accapare aussi l’essentiel de notre temps, nous coupe de nos familles (enfants à la crèche et dans les garderies, rentrée tardive…), nous met la pression (rendement, compétitivité…) et peut nous détruire (malbouffe, stress, tensions dans les ménages, alcoolisme, dépression…).

Quelques chiffres pour illustrer cela : 5 193 tentatives de suicide en 2014, hausse de 70 % en dix ans du nombre de personnes en incapacité de travailler de plus d’un an (366 293 personnes en 2016)[[Selon les chiffres 2016 de l’Institut National d’Assurance Maladie-Invalidité (INAMI) repris le 26 mai 2017 par L’Écho.]], doublement du nombre de personnes en burn-out ces cinq dernières années. Saviez-vous également que 70 % des travailleurs belges se disent prêts à céder une partie de leur rémunération contre des jours de congé supplémentaires et que l’incapacité de travail en 2017 a coûté 7,96 milliards d’euros à la Belgique (soit plus que le montant des allocations de chômage)[[Données issues de La Dernière Heure, « Les travailleurs coûtent plus cher que les chômeurs », 22 juin 2017 et d’un communiqué de presse d’Acerta, prestataire de services en ressources humaines, 10 juillet 2017. ]]? Bref, il y a (presque) unanimité sur la question : il faut réduire la pression, prendre le temps de vivre et… travailler moins !

Pourquoi, dans ce cas, ne sommes-nous pas tous devenus des travailleurs à temps partiel ?

D’abord parce que certaines professions ne le permettent pas et aussi parce que pour une partie des personnes actives le travail est encore synonyme d’épanouissement. Mais la raison majeure est à chercher dans le fait qu’une réduction des revenus n’est tout simplement même pas envisageable pour une majorité des travailleurs. Lorsque les rentrées financières permettent à peine de couvrir le remboursement hypothécaire, les frais d’alimentation, les factures énergétiques, etc., travailler à temps partiel reste un rêve inaccessible. La vertigineuse multiplication des familles monoparentales participe d’ailleurs pour une bonne part à l’aggravation de cette situation. Donc, à moins de trouver un moyen de réduire drastiquement ses dépenses, d’éviter de s’engager dans des remboursements contraignants à long terme (choix d’un habitat léger par exemple… avec les déboires urbanistiques qui vont avec), d’un coup de pouce de la famille, le travail à temps plein reste, pour beaucoup, la seule option possible.

Et pour les autres ?

Tous ceux qui, bénéficiant d’un ou de deux revenus confortables (ou tout au moins suffisants) refusent cette réduction du temps de travail alors même qu’ils reconnaissent une mauvaise qualité de vie et une furieuse envie de se poser. Pourquoi pas de temps partiel pour ceux-là ? Parce que l’argent sur un compte d’épargne donne un sentiment d’invincibilité (ou de sécurité) et que gagner moins est vécu comme un recul menant à une stressante peur de « manquer », de ne plus pouvoir faire « tout », de ne pas avoir assez si jamais il arrivait quelque chose…

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Déjà, il n’est pas facile de se voir imposer un licenciement ou une mise à la pension avec réduction du traitement (petit clin d’œil à mes ex-collègues qui ne comprenaient pas mon choix d’une mise à la pension quinze jours après ma date anniversaire alors que deux ou trois années supplémentaires m’auraient permis un boni de quelques dizaines d’euros mensuels) mais faire le choix volontaire de réduire ses revenus et déclarer à tout vent que cela va permettre de vivre mieux sort complètement du champ de compréhension de la plupart.

Et pourtant ! Réduire son temps de travail et accepter sereinement une diminution de ses rentrées financières est non seulement possible mais aussi de nature à améliorer sensiblement la qualité de la vie.

Un exemple parmi d’autres : le nôtre !

Dès le départ, achat d’une maison à restaurer (moins chère) plutôt que du neuf clé sur porte avec tout le confort, qui vous enchaîne pour 20, 25 ou 30 ans à une activité professionnelle intense. Inconvénient majeur de ce choix : il faut aimer le camping, les meubles de récupération, l’électroménager brinquebalant ou inexistant, la maison pas terminée pendant dix ans, le bricolage, un peu de fatigue, etc. Avantage majeur : un remboursement hypothécaire plus léger, un investissement progressif (au fur et à mesure des moyens) qui permet à madame de travailler à temps partiel (c’était son choix) et une présence maximale auprès des enfants.

Plus tard, une fois le gros des travaux terminés et le prêt hypothécaire remboursé, je prends un temps partiel (quatre cinquième). Perte d’une partie de mes revenus qui succède à une autre dégringolade financière suite à la fin d’un intérim dans des fonctions supérieures. Du stress ? Non ! Juste six mois pour réajuster, retrouver un équilibre et faire d’autres choix moins onéreux. Le sentiment d’un recul, d’une perte ? Non, la découverte d’autre chose !

Problème de santé de mon épouse. Un bras qui se bloque et un travail physique qui risque encore d’aggraver la situation. Un choix à faire. Deux ans avant la pension, on décide de ne pas prendre le risque d’hypothéquer l’avenir ; elle arrête de travailler. De son traitement, il ne restera que 300 euros de complément de chômage. Du stress ? Un peu. La dégringolade est vertigineuse. Il faudra tenir deux ans comme cela jusqu’à une légère remontée au moment de la pension effective. Aujourd’hui le cap est passé : nouveau réajustement. Santé retrouvée et vie paisible à deux.

Pour vivre avec moins, il faut faire des choix multiples et fixer des priorités. Si vous questionnez autour de vous sur les priorités de la vie, les réponses convergent : la santé et la famille. Comment préserver sa santé et garder un contact vivant avec ceux que vous aimez ? En ralentissant !

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Moins d’argent ? Une seule solution (c’est ce que nous faisons) : aligner ses envies sur ses moyens financiers et ne jamais faire le contraire au risque de s’engager dans une course sans fin. S’organiser un peu aussi : panneaux photovoltaïques (tiers investisseur), utilisation exclusive de l’eau de pluie, solaire thermique, jardin potager (production et conservation), fabrication de mon pain, désencombrement matériel, suivi minimal mais optimal des nouveautés technologiques (pour ne pas être trop dépassé), vacances contemplatives, économies d’énergie, etc. Les croisières dans les îles ou les séjours dans les hôtels de luxe ne sont pas à l’ordre du jour. De toute façon, elles ne l’ont jamais été. Se contenter de moins pour vivre plus. Pour vous aider : un petit passage par la simplicité volontaire.

Je retiens deux réflexions de personnes ayant fait le choix d’un temps partiel. L’une a congé le vendredi : elle considère cela comme un équilibre presque parfait (à un demi-jour près) entre le boulot et le temps pour soi. L’autre a congé le mercredi : la notion de semaine de travail n’existe plus, elle va travailler deux jours. Rien que cette idée a réenchanté sa vie professionnelle.

Je ne vous ferai pas l’embarras de la question de que faire de ce temps libre. Outre la possibilité de s’investir aux côtés des Amis de la Terre, la vie se charge de vous offrir de multiples occasions de vous occuper. Le plus dur, c’est le choix à faire.

Et si la réduction du temps de travail était une réponse (même partielle) au stress et à l’agressivité qui en résulte, aux tensions et aux problèmes de couple, au manque de temps et au désarroi des jeunes privés de parents, à la pression et aux maladies qu’elle induit, au manque de temps pour le dialogue, à l’intolérance, à l’indisponibilité qui freine la citoyenneté ?

Le choix de gagner moins n’est pas chose facile. J’en parle avec légèreté aujourd’hui mais il y a eu bien des hésitations et des atermoiements. Cette décision était la bonne parce que pour tous ceux qui, comme nous, font partie des privilégiés de la vie et ne manquent de rien, il existe une vraie possibilité de vivre mieux avec moins. Et si ce « moins gagner » pouvait permettre à d’autres de gagner mieux, le bénéfice en serait doublé.

Terminons avec une mise en situation. Il y a quelques années, au cours d’une conférence sur la simplicité volontaire, je suis interpellé par une dame. Accaparée par une activité professionnelle particulièrement stressante qui l’épuisait, elle souhaitait réduire son temps de travail mais s’inquiétait de savoir si, dans ce cas, ses moyens financiers lui permettraient encore de faire face aux frais médicaux en cas de maladie prolongée. Un choix était donc à faire : poursuivre avec un temps plein et augmenter sensiblement les risques de maladie ou faire le choix d’un temps partiel avec le risque financier de manquer si… Que lui auriez-vous répondu ?

Article écrit par Marcel Guillaume :

photo_marcel.jpgMembre des Amis de la Terre, guide-nature, militant namurois actif au sein de mouvements citoyens, Marcel partage son expérience de simplicitaire lors de conférences et en aidant au lancement de groupes de simplicité volontaire.