Ezio Gandin a une formation scientifique et il travaille dans un centre de recherche et développement sur les matériaux. Il est membre bénévole de l’association Les Amis de la Terre depuis près de 10 ans. Il présente pour Espace-Citoyen.net sa vision de la décroissance économique soutenable et de la simplicité volontaire.
Comment avez-vous découvert la simplicité volontaire et la décroissance?
Au sein du mouvement des Amis de la Terre, nous avons découvert le terme « décroissance économique soutenable » par la revue française Silence. C’était en 2003 et je m’en souviens encore très bien. Interpellés par ce concept, nous avons directement créé un groupe de réflexion pour échanger sur ce thème car nous nous sommes dit qu’il pourrait nous aider à répondre à certaines questions que nous nous posions dans l’association.
Après quelques mois de lecture et de discussion sur la décroissance économique soutenable, nous avons vu apparaître de plus en plus régulièrement le terme « simplicité volontaire ». C’est donc de cette manière que j’ai découvert ce concept et que j’ai commencé à m’y intéresser de plus près.
Après m’être documenté, j’ai compris qu’il s’agissait d’un mode de vie particulièrement intéressant et que la plupart des membres du mouvement le pratiquaient déjà d’une manière ou d’une autre, sans en avoir bien conscience mais aussi sans en saisir toutes les dimensions et toute la portée individuelle et collective.
Vous avez donc introduit ces thématiques dans l’association… Comment ça s’est passé ?
Nous avons d’abord réussi à convaincre les membres de notre Assemblée Générale que la décroissance économique soutenable était un concept intéressant et utile qui devait traverser l’ensemble de nos thématiques.
Ensuite, avec Dominique, nous avons voulu aller plus loin et concrétiser cela dans la vie de tous les jours. Nous avons donc proposé de suivre l’exemple des Québécois en créant des groupes de simplicité volontaire.
Nous avons fait notre première conférence sur le sujet début 2005. Depuis, il y en a eu bien d’autres et une vingtaine de groupes de simplicité volontaire ont été mis en place.
Qu’est-ce que cela a apporté au mouvement ?
Le concept de « décroissance économique soutenable » nous a donné pour la première fois un cadre de réflexion très intéressant pour des solutions globales.
Après avoir réfléchi aux grandes orientations d’une politique de décroissance économique soutenable, nous avons abordé la simplicité volontaire.
Au départ, les Amis de la Terre proposaient des modifications de comportements par « secteur de vie » : ouvrir son jardin à la biodiversité, gérer durablement l’eau à la maison, économiser l’énergie, etc. Nous avons voulu aller au-delà et proposer d’utiliser la simplicité volontaire comme une vue transversale, comme un guide sur toute sa vie. Nous avons pu reprendre une grande partie de ce que nous avions déjà fait et le replacer dans un cadre plus général par rapport à toutes les consommations. Mais aussi d’entrer dans des dimensions où nous n’étions pas en nous questionnant sur nos valeurs.
C’est-à-dire ?
Un des premiers moteurs importants pour simplifier sa vie, c’est de ressentir que quelque chose ne va pas dans sa vie actuelle, d’éprouver un malaise par rapport à la société. La simplicité volontaire peut apporter une solution à ce malaise, car elle invite les individus à interroger leurs valeurs profondes et à vivre en accord avec celles-ci.
Le deuxième moteur qui doit suivre lorsqu’on s’engage dans cette voie, c’est d’y gagner du plaisir. En effet, je n’imagine pas qu’on aille vers une simplification de sa vie si c’est vécu comme une succession de choses que l’on (se) retire. Il ne doit pas y avoir de sentiment de privation. Sinon, la volonté ne sera pas assez forte et on risque de se laisser emporter par le flot des gens qui nous entourent et qui vivent « normalement ». Et on ne pourra pas résister très longtemps.
A partir du moment où l’on sent que notre vie s’améliore et qu’on y prend du plaisir, on parvient à poursuivre cette démarche, ce mode de vie, malgré les difficultés que cela peut représenter au niveau familial ou professionnel.
Existe-t-il différentes façons d’envisager la simplicité volontaire ?
Une des spécificités des Amis de la Terre en Belgique, c’est que nous présentons toujours la simplicité volontaire en partant du collectif et en allant vers l’individuel.
Ainsi, avant de parler de simplicité volontaire, nous faisons le bilan de notre société. Cela ouvre la porte à la décroissance économique soutenable comme solution possible au niveau collectif. Ensuite, nous introduisons la démarche individuelle, personnelle qu’est la simplicité volontaire. Nous abordons le thème de cette manière parce que nous sommes une association écologiste très sensible aux défis en matière de biodiversité, de changements climatiques et autres qui nécessitent des actions collectives et individuelles.
Les Canadiens introduisent la simplicité volontaire du « bas vers le haut ». Ils partent d’une prise de conscience personnelle, d’une envie de vivre mieux, sans examiner l’aspect collectif, sociétal. Les Canadiens orientent plutôt la simplicité volontaire vers le bien-être, l’épanouissement personnel et spirituel. Toutefois, l’année passée, Serge Mongeau, le créateur du réseau québécois, a lancé un appel pour une intégration forte de la dimension collective – la décroissance économique soutenable – dans la démarche.
Les Américains, quant à eux, présentent, le plus souvent, la simplicité volontaire comme une réponse à l’endettement. Face à l’endettement, il y a deux solutions : travailler plus pour gagner plus d’argent ou réduire ses besoins. Quand on parvient à réduire ses besoins, à sortir de l’endettement, on peut retrouver sa dignité et ainsi revivre mieux.
On peut donc aborder la simplicité volontaire par au moins trois faces :
- avoir un mode de vie en cohérence avec un monde équitable et durable,
- développer sa spiritualité,
- sortir de l’endettement.
La plupart des gestes concrets à poser sont les mêmes.
Quels sont ces gestes ?
Parler de ces gestes permet de distinguer la simplicité volontaire de la décroissance économique soutenable. Notre mouvement en Belgique parle de simplicité volontaire pour tous les gestes individuels ou de petits groupes.
Par exemple, prendre les transports en commun ou se déplacer moins, relève de la simplicité volontaire. Par contre, réserver de plus en plus de routes aux seuls transports en commun ou aux transports doux relève de la décroissance car on se situe au niveau politique et de la macro-économie.
En France, contrairement à la Belgique, le mot décroissance recouvre souvent aussi bien des gestes et des comportements individuels que des mesures politiques, collectives.
Crédit photo : Dessin : «La Décroissance» Le journal de la joie de vivre