Comment le matérialisme tue l’humanisme…

Histoire de circonstance ……

C’était un soir de mars, un peu pluvieux. Je sortais de chez moi pour aller à une réunion de parents d’élèves quand je rencontrai un homme d’une cinquantaine d’années, assez négligé et l’air très fatigué. Il tenait une couverture sous le bras. Je ne m’en étonnai pas. Je n’avais pas le temps.

Il m’aborda pour me demander si je pouvais lui indiquer l’église de N. Je tendis ma main en direction de l’église qui se trouvait un peu plus loin et toujours affairée à monter dans ma voiture, l’esprit occupé à la réunion, je lui dis qu’à cette heure tardive, il n’y trouverait personne et qu’elle était probablement fermée. Il me demanda alors si je connaissais un porche ou un jardin, à l’abri, pour qu’il puisse y dormir.

J’allai claquer ma portière quand cette remarque soudaine me tira de mes pensées futiles. Pour y dormir? Je le regardai plus attentivement. Ses yeux délavés et son visage fatigué me touchèrent particulièrement.

° « Avez-vous frappé à la porte de l’aumônerie?  » demandai-je gênée.
°  » Le foyer est plein, on m’a juste donné cette couverture. Si vous connaissez un endroit tranquille où je ne me ferai pas agresser…  »

Cet homme me demandait, tranquillement, simplement, de lui indiquer la première poubelle venue pour qu’il puisse y passer cette nuit glaciale et pluvieuse. Je me suis sentie très seule à cet instant précise, j’avais l’impression d’être regardée par tous les dieux qui peuvent exister, j’avais l’impression d’être nue devant ma conscience. Comment aurais-je pu lui dire « mais pas de problème, mon petit gars, vous allez trouvez un bon vieux carton bien chaud au prochain carrefour, allez bonne nuit hein!. Et dormez bien surtout! »

Regarder les infos, être sensible à la misère du monde, faire des dons, participer à des associations caritatives, c’est une chose. Mais quand la misère t’attend sur ton trottoir, à 2 pas de ta belle baraque bourgeoise et de ta voiture climatisée, elle prend tout à coup une ampleur si démesurée que tu sens en toi toute le cynisme et l’ironie du sort qui aurait pu être le tien.

° Je lui ai demandé s’il avait mangé. « Oui, la soupe, au foyer »

° Je lui ai juste dit : « Attendez moi 2 minutes » J’ai claqué la portière de ma voiture, suis rentrée chez moi et ai jeté à la figure de mon mari, sans respirer : « Il y a un homme dehors qui s’apprête à dormir dans la rue, je voudrais qu’il passe la nuit chez nous. »

° « Non, a-t-il répondu, s’il a faim, je lui fais à manger, ça ne me pose pas de problèmes, mais il ne dort pas ici, on ne le connaît pas ».

° « Imagine que nos enfants dans 50 ans soient dans sa situation, tu n’aimerais pas que quelqu’un puisse leur tendre la main, une fois seulement? »
° …
° …
°  » Fais ce que tu veux, mais je n’approuve pas. »
Je suis ressortie, je lui ai fais part de mes craintes et mon trouble aussi.

° « Vous comprenez, je ne vous connais pas, je sais, c’est terrible d’envisager de vous laisser là, mais aujourd’hui…. Et puis il y a eu un meurtre dans notre rue il y a 3 jours… Alors vous comprenez… je suis du genre méfiante  » (je suis aussi du genre poire, mais ça je ne lui ai pas dit)

° « Bien sûr, je comprends, je ne vous demande rien. »
° « … rentrez, mon mari va vous faire à manger. »
° « merci »
° « … et puis si vous voulez dormir… »
° « je peux dormir dans votre cour. »
° « chez moi, c’est mon chien qui dort dans la cour. »

Cette remarque avait fini de m’achever. Le fait qu’il me propose de dormir dehors avec mon chien… je me sentais si moche d’être un être humain tout à coup, et si impuissante aussi. Je montai dans ma voiture et fondis en larmes. Arrivée à la réunion, je prétextai un enfant malade pour revenir à la maison aussitôt. Il était déjà couché. Mon mari et lui avaient discuté de la façon dont il était arrivé dans la rue : un divorce mal géré, un travail non déclaré qui ne lui avait pas été payé, aucun recours possible, la perte des droits sociaux, puis de l’appartement… 6 mois.

La bassesse humaine aura voulu que cette nuit là, je dorme avec un couteau de cuisine aiguisé sous mon oreiller et que je me réveille au moindre craquement de parquet. La petitesse humaine aura voulu aussi que je m’inquiète pour mon DVD à 46.50 euros et pour mes bibelots pourris achetés à la foirfouille.

Un homme qui n’avait plus un sou en poche dormait à l’étage et je flippais pour mes effets personnels dont même Emmaüs ne voudrait pas…

Le lendemain matin, lorsque mon fils réclama son biberon, c’est mon mari qui s’en occupa. Quant il revint, il me dit « Notre hôte est parti »

° « – Comment ça parti? Il a déjeuné? »

° « Non »
° « Il a pris une douche? »
° « Non, il ne voulait pas. »
° « Mais il est 7h du matin! Il aurait pu manger un peu! »
° « Il m’a demandé de te remercier chaleureusement. Je lui ai répondu que c’était grâce à toi qu’il avait dormi ici, que moi je ne voulais pas. Il m’a dit que ce n’était pas un hasard, que c’est Dieu qui t’avait mise sur sa route. »

Je n’ai plus jamais entendu parler de lui. Mais aujourd’hui encore, cette histoire me trouble…