Nature : amour ou haine ?

Dans ce numéro

Nature et législation

  • Textes de référence.
  • Une protection légale basée sur la notion de zones.
  • Un exemple communal à suivre à Lasne

Nature et territoire

  • Le concept d’aménagement du territoire.
  • Données statistiques illustrant le recul de la nature.
  • Qui a peur de la grande méchante eau ?
  • Jardiner nature, un paradoxe ?

Nature et comportement

  • Voir autrement les catastrophes naturelles.
  • interview de Freddy POLIART, qui pratique l’élaguage.
  • Agriculture écologique : utopie ?
  • Nature : excitant ou calmant ?
  • Femmes et nature : des retrouvailles.
  • Naturenville à Lille

Nature et corps

  • La nature intérieure.
  • Hygiène et hygiénisme : à ne pas confondre !
  • Le phénomène des piercings et tatouages.
  • Se soigner par les forêts.

Epilogue : La nature et nous : dehors ou dedans ?

Éditorial :

Par un dimanche ensoleillé d’avril, je me promène à Gand, je traverse une kermesse lorsque je suis attirée par des cris d’angoisse. Cela vient d’une attraction, style parcours d’épouvante où les spectres surgissent devant des wagonnets pleins de badauds terrorisés. Devant l’entrée, un immense arbre gris en plastique tend ses branches décharnées garnies de clous sanguinolents, de linges douteux et de faux oiseaux funèbres. Un rictus édenté fend le tronc et le tout baigne dans un bruitage lugubre. Une véritable invitation aux délices de la terreur fabriquée !

Cela me replonge dans le souvenir d’un mémoire de fin d’étude consacré aux liens entre les arbres et les mythologies. J’avais pu y explorer les relations universelles et profondes entre êtres de bois et êtres de chair, démêler les racines symboliques de nos abattages frénétiques actuels tout autant que de nos efforts citoyens de préservation. C’est que chacune de nos attitudes vis-à-vis des éléments naturels se fondent sur bien des couches de raison, de sentiment, d’expérimentation. Le savoir peut nous aider à mieux comprendre l’évolution de notre rapport à la nature. Mais tous ne marchent pas du même pas et sur de mêmes territoires se côtoient des arbres « à maladie » où l’on vient encore clouer le linge d’une personne souffrante dans l’espoir « que l’arbre prendra le mal » et des exploitations rationnelles de plantations de plantes médicinales ou d’arbres à papier organisées sans souci d’assèchement ou d’épuisement des sols.

Où en sommes-nous donc ?

Après des phases de contemplation et d’observation, l’humain s’est mis à recenser, à nommer, compter et classer les espèces et les éléments. Cela lui a fourni de précieuses données qu’il suffisait d’utiliser pour tenter de reproduire les processus naturels, puis pour les systématiser, les forcer, les multiplier. Quelle ivresse ! La nature mise au pas, maîtrisée et domptée pour le bien de tous, des humains surtout. Après cette phase intensive d’exploitation qui subsiste encore sur de larges territoires, des retours de flamme, pourrait-on dire, ont commencé à gripper la belle mécanique. Des « dysfonctionnements » (ah que le mot est pudique et joli, évoquant une sorte de glissade pas trop grave) ont provoqué incompréhension, angoisse et colère de la population. Quoi, tout n’était pas prévu ? Ne savait-on pas qu’augmenter les apports en azote pour les cultures mécanisées empoisonnerait les rivières et les nappes phréatiques ? Ignorait-on que curage, bétonnage de berges et barrages pour les fleuves accroîtraient les risques d’inondations ? Avait-on nié que domestiquer les arbres et les regrouper abusivement les affaibliraient ainsi que leur sol nourricier et que les élevages intensifs d’animaux domestiques nous donneraient des vaches folles et des cochons pestiférés ?

Il semble bien que oui et que beaucoup encore se bouchent oreilles, yeux et nez et s’obstinent dans ces pratiques d’ingérence abusive dans les processus naturels allant jusqu’à toucher au coeur des patrimoines génétiques pour les « améliorer ».

Devant cet aveuglement engendré par la course au profit, des citoyens se mobilisent, font pression sur leurs représentants politiques pour obliger à plus de prudence. Ce sont les rencontres internationales à Rio en 1992, les accords de Kyoto, les directives européennes « Oiseaux » et « Natura 2000 » et, plus proches de nous, les contrats de rivière, les plans communaux de développement de la Nature, etc. Mais les logiques sont encore loin d’être inversées et il faudra du temps pour reconstruire un véritable contrat naturel. Il faudra passer des mesures cosmétiques, superficielles à des décisions structurelles courageuses. Nos options philosophiques auront, dans cette démarche, une importance forte. Sans revenir au temps des druides et de leur faucille, il nous faudra bien reconsidérer les éléments naturels et entendre les « passeurs » qui ont maintenu le contact avec les forces vitales de la planète. Il faudra aussi réfléchir à notre place : observateur ? utilisateur ? partie prenante ? Comme on dit en Belgique, un peu de tout certainement et ce n’est pas une mince affaire d’en inscrire les conséquences dans nos comportements de tous les jours, qu’ils soient privés, professionnels, sociaux ou autres. Et pourtant notre survie passe par là !

Claudine Liénard

Bibliographie

C’est François Terrasson qui provoqua en 1988 un choc salutaire en mettant sous les projecteurs cette peur de la nature qu’il avait perçue de manière forte grâce à ses compétences tant en sciences naturelles qu’en sciences humaines. Ses trois livres analysent de plus en plus profondément les racines inconscientes mais aussi les conséquences sur le comportement humain d’une relation à la nature ambiguë et pervertie.

Certes, l’homme aime la nature et consacre beaucoup d’efforts à la protéger mais Terrasson nous démontre que même ces efforts sont entachés d’une véritable horreur du sauvage, du spontané et qu’ils peuvent ainsi provoquer «plus de tort que de bien». Après chacun de ses ouvrages, un vaste débat sera enclenché au coeur même des milieux traditionnels de sauvegarde des espaces naturels. Faut-il éloigner les humains ? Ne vaut-il pas mieux apprendre à vivre en meilleure acceptation de tout ce qui nous dérange dans le concept de nature : de la ronce griffue à la limace gluante en passant par notre propre part d’ombre et de sauvagerie ? Les questions sont désormais posées. En attendant, les comportements sont lents à modifier et le dernier livre de François Terrasson n’est guère optimiste lorsqu’il poursuit son examen des méthodes destructrices des «adorateurs de la déesse Modernité». Une lecture tonique, drôle sinon optimiste, un point de départ incontournable pour approfondir le thème que nous avons abordé dans ce dossier.

– « La Peur de la Nature » par François Terrasson, 1988 (1ère édition), 1991 (seconde édition), aux Editions Sang de la terre, Paris
– « La Civilisation anti-nature » par François Terrasson, 1994, aux Editions du Rocher, Monaco
– « En finir avec la nature » par François Terrasson, 2002, aux Editions du Rocher, Monaco